Note sur "La roue d'eau" de J. M. G. Le Clézio

(du point de vue de la psychanalyse matérielle)

 

José Ángel García Landa

Universidad de Zaragoza, 1990

Édition électronique 2004, 2020

 

Le conte ne se prête qu'assez malaisément à l'interprétation de la psychanalyse matérielle de Bachelard, car le thème fondamental est le temps, qu'on ne peut identifier à aucun élement en particulier, et la métaphore qui l'exprime n'est pas materielle, mais formelle: le cercle. Il y a, bien sûr, un bon nombre d'éléments liés à ce thème principal qui, eux, sont à la portée de la méthode de Bachelard. Ainsi les images matérialisées des cercles : la roue d'eau, le chemin circulaire, le soleil, les cercles de nuages... ou encore celles qui développent le thème de la fertilité : la source, la terre arrosée, etc. La méthode de Bachelard est utile pour l'étude des images en soi, mais la pensée fondamentale qui les organise dans ce texte lui échappe.

Le texte a trois parties bien découpées: la première et la troisième s'opposent à la deuxième comme la réalité au rêve. Il y a d'autres traits communs à la première et la troisième partie qui les rapprochent face à la seconde: on peut signaler dans cette opposition les pairs nuit/jour, froid/chaleur, présent/passé, champs/ville, primitivisme/civilisation, solitude/société, enfance/maturité, pauvreté/richesse, etc. En ce qui concerne les images matérielles, le niveau réel est dominé par les images de la terre. Les images de l'eau, de l'irrigation d'abord et de l'inondation après, dominent les limites, tandis que la deuxième partie se caractérise par les images de la lumière, du plein soleil et de l'élévation. On nous raconte, en fait, l'histoire d'un jour, mésuré par la montée et déclinaison du soleil, mais avec cette particularité que l'irréalité, le rêve, loge au centre de la journée, et est associée à la lumière et pas à la nuit. Il est compréhensible que l'assoupissement de Juba soit associé à un mirage, et que les deux se confondent.

Ce procédé de synthèse est d'ailleurs la méthode la plus usitée dans le conte pour établir des liens métaphoriques : la perception de Juba est floue (donc par analogie celle du narrateur aussi), et tous les bruits deviennent le même : la respiration des boeufs et l'eau dans la réalité, la mer, la musique et les voix andas le rêve. De même, le mouvement circulaire des boeufs et de la roue confond la linéalité du temps immédiat, et par amplification, celle du temps historique. Le soleil haut dans le ciel, comme dans l'Ecclésiaste, un jour comme l'autre à des siècles de distance, aide lui aussi à effacer les différences. Le nom de Juba aussi, et sa race. Ce qui reste est en réalité très peu: l'antiquité resplendissante du rêve n'est plus, il n'en reste que les noms à moitié compris. Mais le texte valorise cette maigre identité pour insinuer l'éternel retour d'une essence secrète des hommes, liée à l'identité de la matière qui, elle, reste.

On ne remarque pas le passage d'un Juba à l'autre, si passage il y a. L'un apporte la paix, le savoir, la prospérité, l'autre arrosse les champs; c'est une entreprise à la mesure des forces de chacun et de son temps. Seulement, il y a eu un déclin au lieu d'un progrès, et les morts pèsent trop lourd. Tous les éléments forment alliance pour les ramener à la surface. C'est seulement la nature de cette surface qui n'est pas claire. Car Juba ne semble connaître que de très loin l'histoire de ses ancêtres. Pour la bonne marche de l'histoire, il faut que ceux-ci soient, à la fois, oubliés et obsédants. L'éblouissement de Juba ne doit pas être ni une histoire connue de lui, ni un rêve, mais plutôt une sorte de vision ; ce n'est pas lui mais plutôt la nature entière qui se réclame du passé.

Juba paraît curieusement indifférent à son rêve. Il est évident qu'il est observé d'en haut par quelqu'un qui, lui, connaît mieux l'ordre du temps.



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